
arrive au Laos, au début de l'année 1947, Yves Bertrais, Père oblat de
Marie immaculée, qui est mort le 27 mai, à 86 ans. Que sait-il de ce
monde et de ses populations ? Pas grand-chose.
Trois ans plus tard, il part à la rencontre de la minorité ethnique des Hmongs, "les hommes libres", ou, pour être plus précis, "ceux
qui ont pour eux les grands espaces des montagnes, sont indépendants
des gouvernements des pays où ils vivent, et qui n'ont d'autres maîtres
que leurs traditions". Ils sont animistes, polygames,
cultivent l'opium sur brulis pour leur besoin et, au-delà, pour les
soins et les échanges commerciaux.
perché des environs de Luang Prabang. Homme de passion, il s'applique à
comprendre une langue uniquement orale de la famille sino-tibétaine et
tente de la transcrire sur le papier. Une activité prenante, le parler
hmong utilisant sept tons avec des intensités diverses et des
modulations particulières pour exprimer surprise ou colère.
S'il
n'oublie jamais sa mission de christianisation d'une population
animiste – les premiers convertis, en 1953, seront le chaman et le chef
du village dans lequel il vit -, il travaille surtout à offrir une
écriture romane à un peuple qui, avec la guerre franco-vietnamienne
puis américano-vietnamienne, va entrer dans la modernité par la porte
la plus sanglante et la plus douloureuse.
Il n'est pas le seul.
Les missionnaires protestants, notamment le pasteur évangéliste
américain Samuel Pollard, ont déjà commencé au début du XXe
siècle. Œcuméniques avant l'heure – nous sommes en 1953 -, le pasteur
Barnay, qui parle hmong, le professeur Smalley, spécialiste en
linguistique et phonétique, et le Père Bertrais se mettent à travailler
ensemble. Des mois de labeur et quelques règles dont l'une aura son
importance pour l'avenir : que l'écriture puisse se taper sur des
machines anglaises ou françaises. Ainsi est née l'écriture romane hmong
utilisée aujourd'hui partout, la guerre ayant fait exploser ces
communautés d'Indochine.
On doit à Yves Bertrais le premier
dictionnaire hmong-français, publié à Vientiane en 1964. Douze ans plus
tard, il rédige dans le cadre de l'Ecole des hautes études en sciences
sociales (EHESS) une importante étude sur les rites de mariage hmong au
Laos et en Thaïlande. Et c'est encore lui qui, au lendemain de
l'installation des régimes communistes dans la péninsule et du départ
massif des familles hmongs, finira par convaincre les autorités
françaises d'aider à la construction du village hmong de Cacao, en
Guyane.
S'il n'est pas sûr que son prosélytisme ait bouleversé
les communautés hmongs, grâce à son énergie, leur culture est désormais
écrite, lisible et transmissible. Et ce, à l'heure où, atteint de la
maladie d'Alzheimer, il disparaît.
30 juillet 1921 Naissance à Prinquiau (Loire-Atlantique)
27 mai 2007 Mort à Paris
Yves-Marc Ajchenbaum