oct

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Souvenir d’un enfant de Sithandone

Mon Père, le Docteur Khamphai Abhay m'a fait découvrir et transmis la passion pour ces iles dispersées à travers la province de Sithandone comme un collier de perles fines. SITHANDONE signifie la province des Quatre Mille Iles. Nous les visitions en canöe à moteur, une par une sans exception. Ces iles s'appellent Done Say, Done Sanh, Done Deth, Done Deng , Done Hi, Done Phimane et bien d'autres encore comme Done Sang Phai, Done Khamao, Done Somphou, Done Long, Done Lopadi .La musique de leurs noms si poétiques berce encore mon cœur d'enfant d'une mélodie nostalgique que chantent si bien les " mô lam de Sithandone"     

Done Khong en particulier est douée d'un mystère envoûtant qui lui donne des vibrations magiques. Ma mémoire d'enfant s'est imprégnée du parfum du riz fraichement récolté et des fleurs de gardénias que les femmes offrent au Bouddha les jours saints de pleine lune. Réveillée par le chant lointain du coq ou le cri lugubre du corbeau, je méditais chaque matin sur la véranda de mon grand-père tournée vers le Mékong.  

Enveloppée par le silence de l'aube, je me sentais proche de la sérénité
divine, celle qui vous montre la vérité du cœur. Mes yeux sont encore
remplis de la vision nostalgique du crépuscule chatoyant sur les flots
tumultueux du Mékong. Les plongeons dans les eaux limoneuses du fleuve
en crue au mois d'août sont mes souvenirs de vacances les plus
croustillants. Les enfants parcourent  l'ile en vélo, à la découverte de
grottes cachées ou à la recherche du murmure cristallin des ruisseaux
descendant des montagnes.  

Les habitants de Sithandone vivent essentiellement de la pêche, de la
culture du riz, de la fabrication de l'alcool de riz. Comme la majorité
des laotiens, les natifs de Sithandone sont profondément imprégnés par
le Bouddhisme dont les fêtes rituelles rythment la vie de l'ile au gré
des saisons. A l'entrée du Carême bouddhique, j'ai suivi les processions
nocturnes autour de la principale pagode de l'ile de Khong, Vat Kang.
C'était une procession silencieuse, recueillie, à la lumière des bougies
qui scintillaient dans la nuit noire comme d'interminables vers
luisants.  

Notre éducation fut influencée très tôt par la sagesse bouddhiste 
transmise par nos grand- mères qui étaient aimantes, chaleureuses et
généreuses. Les jours de mousson, elles nous racontaient la légende de "
Sinh Sai ", le Ramayana laotien alors que la pluie crépitait comme les
grains de gros sel sur la tôle ondulée de leur maison sur pilotis.

Elles nous ont transmis en héritage le respect de la dignité humaine, le
sens de la cohésion familiale, le sens de l'entraide communautaire qui
sont la racine de l'adhésion à une identité nationale. Elles nous ont
donné l'amour du Laos, cet amour qui sommeille au fond de chacun de
nous, comme une petite flamme d'espoir enveloppée dans un cœur de
compassion.  

Sithandone c'est tout cela, une authentique poésie vivante. Mais c'est
également une âme, l'héritage d'une tradition, d'une culture, d'un mode
de vie. Les natifs de Sithandone ont probablement tiré leurs forces de
la magie toute particulière de leurs iles qui les a rendus volontaires,
solidaires, combatifs, tenaces mais généreux et sensibles. Nombreux
d'entre nous sommes partis de rien, certains ont vécu dans les pagodes
pour poursuivre leurs études, souvent séparés de leurs familles qui
n'avaient pas les moyens de leur financer l'hébergement dans une grande
ville. C'était une enfance pauvre qui leur a donné une autre forme de
richesse, celle qui vous apprend le goût de l'effort et du mérite, le
sens du sacrifice et du courage.

Même les 35 années d'exil n'ont pas terni le souvenir de notre LAOS
natal. Nos grand parents, nos parents étaient les grands arbres de nos
vies, certains nous ont déjà quitté. Nous sommes devenus à notre tour
l'arbre de vie pour nos enfants et pour nos futurs petits enfants. Le
présent se construit à partir de l'exemple ou des leçons tirées des
erreurs du passé.  

L'avenir du LAOS dépendra non seulement de notre capacité à nous adapter
au présent d'un monde qui bouge, mais encore à notre ténacité à 
transmettre à notre descendance l'héritage d'un passé qui appartient
maintenant à la mémoire collective d'un peuple tout entier.

OUBLIER SON PASSE c'est accepter de n'avoir jamais exister, c'est
accepter de mourir une seconde fois dans le silence glacial de 
l'indifférence. Un peuple sans mémoire est un peuple sans Histoire. Nous
avons ainsi un devoir de mémoire envers tous les laotiens connus ou
inconnus qui ont vécu, construit ou subi l'Histoire tourmentée du Laos.  
 
Récit de Dr Manola Souvanlasy

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