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Le baci (1ere et 2e partie)

Le baci est la cérémonie lao par excellence, celle par laquelle ce bon peuple, au milieu des sourires et des fleurs, manifeste sa joie de vivre et la générosité de son coeur. Grandiose ou modeste, grave ou familier, mais toujours ardent et sincère, le baci accueille aussi bien la personnalité officielle en déplacement que le simple touriste. Par le baci, on  souhaite bonne santé et longue vie à l'enfant qui vient "d'ouvrir les yeux à la lumière", à la femme qui relève de couches, au malade qui vient de guérir, à l'homme qui va entreprendre un long voyage ou qui rentre dans son foyer.Il y a des baci de Nouvel An et de mariage, des bacis offerts aux hauts personnages de passage, aux amis qu'on retrouve ou aux fonctionnaires qui viennent d'obtenir une distinction honorifique : souhaits de bienvenue ou de bon voyage, souhaits de bonheur et de prospérité.

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Photo d'un "baci" célébrant un mariage lao

Cérémonie généreuse s'il en fut, où chacun trouve les souhaits qui lui conviennent et d'où tous sortent grandis : le baci offert à un boeuf en fait un ousouphalat (grand taureau), à un serpent, un nag (Naga, grand Serpent de mer de la mythologie indienne). Ajoutons que de surcroît, le baci est une bonne occasion pour les jeunes gens de prendre, en se réunissant sous les yeux bienveillants des mères, un avant goût du marriage. C'est le sourire à la vie, le pardon des injures et l'inaltérable confiance aux suprêmes pouvoirs des hautes divinités et du Bouddha.

Baci est un terme pompeux, royal. Communément, il est appelé soukhouan. Soukhouan signifie appel et réception de l'âme, car l'âme est vagabonde
et ne demande qu'à quitter le corps. On raconte à son sujet l'anecdote
suivante : "Deux voyageurs traversaient une forêt. A l'étape, l'un d'eux, fatigué,
se coucha et s'endormit. Quelques instants après, le compagnon vit un
grillon sortir de la tête du dormeur… L'insecte, lentement, s'en alla
faire le tour des arbres, longea une rivière qui se trouvait non loin
de là, et, après mille tours et ébats, revint à son point de départ. Le
dormeur se réveilla alors et s'écria ; "Ah, quel sommeil ! Et quel rêve
! J'ai vu des forêts, je me suis baigné dans des fleuves…"

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"L'autre n'eut aucune peine à établir le rapport entre ce qu'il avait
vu et ce que racontait son camarade. Et de songer aussitôt que l'âme,
en s'évadant du corps, aime surtout à prendre des formes animales…"
Oui, l'âme est une vagabonde qu'il faut, le plus souvent possible,
maintenir et rappeler à la maison car elle peut, dans ses
pérégrinations, s'attarder en de mauvais lieux ou se laisser entrainer
par de mauvais compagnons. A cette enfant terrible dont l'absence provoque notre maladie ou notre
infortune—souvent les deux ! —, il convient, dit on, d'offrir un
"régal", un soukhouan au moins une fois par mois.

Le jour faste est choisi, et l'heure.
La maison a confectionné le phakouan ( "plateau" ou "repas de l'âme").
C'est un plateau surmonté de coupes ô et de khan ( plateaux plus
petits) sur lesquels sont piquées des feuilles de bananier remplis de
fleurs. Au sommet comme un  panache de joie, un cornet plus grand
dresse sa chevelure de fleurs de champa, fièrement enfilées sur de
petits tiges de bois.
En outre, le phakouan contient alcool, oeufs, gâteaux, riz, argent, cierges et fils de coton. Alors les parents arrivent, apportant qui des phakouan semblables ou
plus petits, qui de simples coupes remplies de riz et de fleurs. Ainsi disposés sur un tapis rouge, les phakhouan multicolores, en
exhalant tous les parfums du pays lao, attendent le prêtre,
l'officiant. C'est d'ordinaire un vieillard à cheuveux blancs, tout de
blanc vêtu, bonze défroqué de préférence, thit ou chane ( grades de
bonzes ayant quitté les ordres). Le voici. Il s'assied dans la direction faste, face à celui qu'on
honore. Les cierges et les baguettes d'encens sont allumés et,
cependant que le léger brouillard de parfums et de voeux monte au ciel,
le nénérable vieillard s'adresse aux divinités tutélaires …

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Appel à l'âme
"Ce jour est le jour très faste, le jour très convenable, le jour où le Roi victorieux rentre dans son palais;
"C'est le jour que nous avons choisi pour mettre dans ce plateau oeufs
durs, patates, tubercules, noix de coco et cuisses de poulets. Tout
cela en beaux morceaux, avec bouteilles de bons alcool, sans compter
d'autres mets délicieux.
"l'heure est favorable et nous avons invité le grand savant à s'assoir devant le plateau pour inviter l'âme".
Alors, il appelle l'âme, l'âme noyée dans le fleuve ou dans le
brouillard, l'âme tombée dans un trou ou égarée dans les rivières et
les ruisseaux, dans les mares ou au bord des étangs avec les rainettes
et les grenouilles…

Après ces invocations et ces prières, la certitude est acquise que les
divinités président à la cérémonie et que toutes les âmes ont réintégré
le corps. Alors on formule les souhaits.

Souhaits
"Soyez aussi résistant que le bois du cerf, les mâchoires du sanglier ou  les défenses de l'éléphant!
"Que votre vie dure mille ans, que vos richesses abondent en toutes sortes, éléphants, chevaux, victuailles et argent!
"Si vous avez de la fièvre qu'elle disparaisse!
"Si vous êtes domestique, soyez libéré, car le soukhouan offert à un khoun en fait un phagna, à un phagna en fait un roi!
"Soyez tout-puissant sur le monde!
"Que tout fléchisse devant vous et puissiez-vous ignorer le moindre besoin.
"Ayez l'âge, ayez la santé, ayez le bonheur et la force!"

L'assistance qui avait jusque-là écouté en silence et mains jointes à
la hauteur du front, acquiesce par un murmure: "sa!" ( abréviation de
sathou, qu'il en soit ainsi).

Et quelqu'un vient attacher une cordelette de coton au poignet de
l'officiant. Celui-ci à son tour va accomplir le même rite vis-à-vis de
celui à qui on offre le soukhouan. Et chacun, à tour de rôle, est muni
des fils porte-bonheur. Le soukhouan se prolonge toujours par un ngan ( veillée ou cour d'amour).

Texte extrait du livre de Thao Nhouy Abhay : "Aspect du Pays Lao"

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